Donner du sens aux symboles grâce à la sémiologie

 
 

Introduction à la sémiologie

Par : Léah Thomas-Bion, sémiologue

Étudier les symboles, c’est s’autoriser, se permettre de poser un autre regard sur le monde. Pouvoir en saisir les subtilités et être capable de faire des liens. Être liant, voilà la grande mission de celui qui cherche la lumière dans ce qui peut paraître obscur.

“Le véritable symbolisme, loin d’être inventé artificiellement par l’homme, se trouve dans la nature même, ou pour mieux dire, que la nature toute entière n’est qu’un symbole de réalités transcendantes”

René Guénon, Le symbolisme de la croix

René Guénon - Symbolisme de la Croix
 
 

Au sommaire :

  1. Le symbole ou la trace de l’éléphant

  2. Qu’est-ce qu’un sémiologue?

  3. Les voies d’accès : archétypes ou symboles?

  4. Signes ou des symboles?

  5. Un cruel besoin de symboles : pourquoi?

  6. Une dimension spirituelle


 

1. Le symbole ou la trace de l’éléphant

Joseph Campbell

Étudier les symboles, c’est avant tout apprendre à re-regarder ce qui nous entoure. Un symbole n’est rien d’autre qu’un item dans lequel et au travers duquel, du sens, des aspects particuliers se sont cristallisés au cours des siècles.

En effet, se familiariser avec les symboles c’est réaliser “l’immense portée de notre passé” comme l'affirme le mythologue Joseph Campbell.

C’est tisser des ponts entre le passé et le présent, réactualiser la portée de ce qui nous entoure.

La médecine traditionnelle chinoise nous donne une métaphore très éclairante quant au statut du symbole, elle le définit comme “la trace du pas de l’éléphant”: l’éléphant n’est pas là, son pied n’est pas visible, mais sa trace nous dit qu’il existe, qu’il est passé par là. Le symbole est alors bien une médiation, entre les lois, l’ordre naturel de la vie et la multiplicité des structures et des mécanismes qui la manifestent.

Il permet donc de relier l’infinité des formes et des fonctions aux quelques archétypes qui les fondent. Il introduit une dimension verticale à notre vision de la vie et il permet horizontalement de relier les structures, mécanismes ou phénomènes apparemment sans lien qui répondent au même symbole. (Voir source 1 en bas de la page).

2. Qu’est-ce qu’un sémiologue?

Umberto Eco, Roland Barthes et Gilbert Durand

Il est vrai que cette profession peut être parfois obscure tant elle est au confluent de plusieurs disciplines. En effet, en témoignent les parcours de sémiologues renommés tels que Umberto Eco ou Roland Barthes.

Ces hommes sont formés à de nombreuses disciplines. Roland Barthes commence par étudier l’antiquité grecque avant de s'intéresser à la philologie, c'est-à-dire l’étude des documents écrits d’une ancienne langue (manuscrits, tablettes etc). Il part en Asie et se passionne pour la culture asiatique et  son rapport aux idéogrammes. Enfin il s’intéresse à la mythologie et publie à cet effet son célèbre Mythes à propos de ce qui constitue pour lui notre mythologie moderne.

Il rejoint ainsi Umberto Ecco selon lequel “l’être humain évolue dans un système de signes”. Umberto Eco a une formation philosophique, avant de s’intéresser à l’esthétique médiévale et à la linguistique. Ce qui donnera lieu à un de ses essais sur la scolastique médiévale : l’apport de l’antiquité grecque à la doctrine chrétienne.

Me concernant, j’ai également rencontré la sémiologie après un mémoire de fin d’études sur la littérature médiévale et le symbolisme animalier dans un recueil de contes du douzième siècle. Dans la mesure où au Moyen Âge tout fonctionne par signes pour avoir une force d’impact narrative plus grande, depuis, je n’ai cessé de comprendre chaque item parcourant les textes de cette période.

Pour ce faire, l’apport des langues anciennes, de la religion et des sciences du vivant m’ont été d’une grande aide. En effet, parfois ce sont des particularités physiologiques qui donnent lieu à des sèmes. Connaître le mode de vie, les différentes particularités des plantes et des oiseaux, l’histoire de leur nom, donnent lieu à d’étonnantes découvertes. Aussi, ce sont parfois des incursions dans les textes saints qui éclairent des symboles que nous côtoyons tous les jours.

La mythologie quant à elle, et je rejoins ici Roland Barthes et Joseph Campbell, est le témoignage que l’homme ne peut pas vivre sans symboles. Et sans narration.

C’est ici le rôle du sémiologue que de faire le pont entre les époques. De narrer à nouveau les histoires qui sont oubliées faute de popularité suffisante ou de lectures assidues.

 

L’imaginaire, ne doit plus être considérée comme “la folle du logis” face à la raison, car elle est nécessaire. Comme l’affirme Gilbert Durand dans l’introduction à son célèbre opus Les structures anthropologiques de l’imaginaire.

3. Les voies d’accès : archétypes ou symboles?

Archetype et symboles Joseph Campbell

À la manière des symboles, l'archétype est une synthèse, selon Joseph Campbell il est “une idée élémentaire de base”,  une manifestation des organes psychiques et de leur pouvoir.

Mais les archétypes apparaissent sous des prismes différents selon l’environnement historique et géographique.

 

Un autre éminent intellectuel a beaucoup travaillé avec les archétypes, il s’agit de Carl Gustav Jung. Sa définition varie peu. Selon lui, les archétypes sont les “structures psychiques primordiales”. Ils représentent les dépôts d’expérience constamment répétés par les hommes qui se transmettent génétiquement.

Le premier modèle, la première idée partagée d’un élément, d’un acte, d’une émotion. Les archétypes peuvent donc être incarnés par des personnages (de la Bible par exemple) ou bien par des postures : celle de l’enfant, du héros, du sage, etc.

Découvrez les 12 archétypes de personnalité et comment il peuvent révéler “l'âme” d’une marque en communication.

 

4. Signes ou symboles?

Signes ou symboles

Les sciences humaines font la distinction entre le signe, qui renvoie à une entité bien précise et conventionnelle et le symbole qui évoque, qui fait appel à l’imagination. Un signe linguistique est une forme contingente associée à un concept. Le symbole dépasse ce cadre là grâce à d’autres champs.

De ce point de vue-là et dans ma formation je me spécialise alors dans l’étude des symboles.

“Le symbole ne doit pas être confondu avec le signe, car il n'est pas conventionnel et intellectuel, mais appel de l'imagination sensible vers un spirituel qu'il suggère sans le signifier”. (Voir source 2 en bas de la page).

Si l’on remonte à l’étymologie du mot symbole nous sommes face au terme grec “symbolein”, qui signifie mettre ensemble. En effet, pensons à la racine -sym : dans symbiose, synergie, qui met en mouvement vers un même point.

Mais en grec “sumbolon” définit une situation tout à fait éclairante.

Le sumbolon c’est l’assemblage parfait mais brisé d’une poterie en terre, formé de deux morceaux contigus de l’objet, qui constituait un assemblage parfaitement identique à l’objet d’origine, lorsque les deux éclats étaient à nouveau réunis par leur porteur.

Pour conclure un accord, dans la Grèce antique, les deux parties contractantes brisaient un tesson de poterie et cela tenait lieu de contrat, lorsqu'ils rassemblaient les deux morceaux afin de les emboiter parfaitement. Les deux ambassadeurs pouvaient alors se reconnaître et s’allier.

En littérature, dans ma formation initiale, le symbole est l’association de deux réalités pour produire un signe nouveau. Il associe souvent une image concrète à une abstraction. Il transpose l’idée en image et crée des analogies suggestives. Ce qui m'amène à vous parler de la réalité du rôle d’un sémiologue aujourd’hui, et pourquoi on y revient doucement.

 

5. Un cruel besoin de symboles : pourquoi?

Pourquoi a-t'on besoin de symboles

Je vais ici citer Tristan Todorov, dans son ouvrage Symbolisme et Interprétation, qui, selon moi, résume parfaitement l’apport d’un sémiologue dans le monde actuel :

 « L’étude des signes et des symboles permet des analogies pertinentes, des homologies, des associations d’idées, des connotations, des relations entre le sens premier du symbole et les sens figurés qui permettent cette extraction ». (Voir source 3 en bas de la page).

Le symbole et la symbolique ne sont pas arrivés jusqu’à nous brusquement. Mais l’époque dans laquelle nous évoluons nous démontre, par leur absence, à quel point ils sont importants.

Bien que souvent vidés de leur sens, ils apparaissent de-ci de-là et une nouvelle mythologie fait surface, car il est admis que l’homme ne peut vivre sans récits. Ainsi comprendre les symboles c’est apprendre à écouter la musique des sphères, selon l’expression de Joseph Campbell. Car tout est signe, l’être humain évolue dans un “système de signes” alors il nous faut apprendre à le décoder.

À notre époque, cela semble revenir, mais cela n’a pas toujours été le cas. Nous assistons à une véritable redécouverte du symbole, étudiée notamment par Mircea Eliade, un célèbre historien des religions.

Il l’explique par plusieurs raisons, mais la majorité des chercheurs s’accordent pour dire que cela fait suite à la vogue de la psychanalyse. (Voir source 4 en bas de la page). En effet cette discipline remet sur le devant de la scène des mots clés tels que image et symbole pour faire écho au monde de la psyché.

Aussi, des recherches sur la “mentalité primitive” en anthropologie révèlent l’importance du symbole dans la pensée archaïque et mettent en lumière le fait que les symboles sont essentiels dans les sociétés traditionnelles pour la construction et le développement de la psyché. Globalement, symboles et pensées sont indissociables.

Mais nous pouvons également noter deux autres facteurs qui participent à ce renouveau du symbole. D’une part, le dépassement du scientisme dans la philosophie, et d’autre part la renaissance de l’intérêt religieux après la première guerre mondiale.

Enfin, un dernier facteur qui peut expliquer ce renouveau : les diverses expériences poétiques du surréalisme. 

“Tous ces facteurs ont, sur des plans différents, et avec des résultats inégaux attiré l’attention du public sur le symbole envisagé comme mode autonome de connaissance”. (Voir source 5 en bas de la page).

Le symbole existerait alors en réaction au rationalisme et au scientisme du dix-neuvième siècle. Si Eliade a utilisé le terme “redécouverte”, cela nous informe sur le fait que théoriquement, les symboles n’ont jamais vraiment disparu. Comment cela se fait-il?

 

6. Une dimension spirituelle

Dimension spirituelle

Ce serait en lien avec leur dimension spirituelle.

En effet, de tout temps l’homme a “besoin” du spirituel et le mythe, l’image, le symbole, répondent à ce besoin. Comme ce besoin est immémorial, on ne peut pas mutiler, ni cacher ou camoufler les symboles. On ne peut pas les supprimer car ils sont un besoin constant. Ils voyagent à travers les siècles grâce au riche et gigantesque véhicule qu’est la littérature. Mircea Eliade nous dit que cette dernière leur a permis une hibernation.

S’ils sont liés à la substance spirituelle de la vie c’est qu’ils révèlent des aspects de la réalité, les plus profonds, qui défient tout autre moyen de connaissance. Ils répondent à la nécessité de mettre à nu les modalités de l’être.

Tout symbole peut être métaphore de l’éveil, ainsi leur étude nous permet de mieux connaître l’homme. Plus une conscience est éveillée, plus elle dépasse sa propre historicité.

 

Ainsi, replacer les symboles au cœur de notre société, ce peut être les mettre au service du monde de la communication afin de les ré-intégrer dans notre réalité, plein de leur sens. Rempli de pertinence quant aux projets qui les portent.

Car, sans doute, les propos de Gilbert Durand nous restent en tête :

La pensée occidentale a pour constante tradition de dévaluer l’image : la fonction d’imagination est psychologiquement ancrée comme maîtresse d’erreur et de fausseté.(Voir source 6 en bas de la page).

La sémiologie se propose alors d’être un pont entre hier et aujourd’hui. Se replacer dans les siècles précédents en ayant conscience de ce que le symbole véhicule, en saisissant de quoi son terreau civilisationnel est constitué pour rendre plus plein et profond notre rapport au réel.


 
 
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