L'identité TCK (Third Culture Kid)
L'identité TCK, quand la diversité nourrit la créativité
Dans cet article, je ne parlerai pas d'identité visuelle, de charte graphique ou de symbolique via les articles de ma sémiologue préférée. Je vais plutôt vous parler d'identité individuelle, le concept d’enfant de troisième culture, la mienne, complexe et multiple, façonnée par les différentes cultures qui m'ont construite. En tant que TCK (Third Culture Kid), mon parcours multiculturel influence profondément ma façon de voir le monde et d'exercer mon métier de designer graphique.
Cette diversité enrichit ma réflexion et mes valeurs, constituant à la fois un atout et un défi.
À travers cet article, je souhaite partager mon parcours, explorer les avantages de cette diversité dans ma pratique créative, et aborder franchement les défis qu'elle présente. Car être TCK, c'est naviguer entre différentes cultures, visions du monde, et façons de communiquer.
Au sommaire:
Qu'est-ce qu'un TCK?
Les avantages et défis d'être “TCK”
Mon parcours multiculturel
Réflexions sur l'influence de mon identité multiculturelle dans ma pratique créative
Réflexion sur la diversité et l'ouverture culturelle
Ah, la fameuse question "D'où venez-vous (vraiment)"! Je la vois venir à des kilomètres, et presqu'à chaque fois c'est le même rituel. Je réfléchis à l’angle à adopter selon la personne qui me pose la question, je prends une grande inspiration, j'esquisse un petit sourire gêné, et je commence par "C'est une longue histoire..." ou "Que voulez-vous dire"?
Me demande-t'on où je suis née, où ai-je vécu la plus grande partie du temps, quel(s) passeport je possède, quelle est ma langue maternelle, à quelle culture je m'identifie le plus, quelle est l'origine de mes parents, où est-ce que je me sens vraiment chez moi, ou encore qu’elle est LA nationalité que je "ressens" le plus être la mienne? Comme si il fallait choisir…
Pour moi, l’identité est une construction à la fois complexe et dynamique, qui façonne ce que nous sommes en tant qu’individus. C'est un assemblage unique d'expériences, de valeurs, de croyances et d'appartenances qui nous façonne et évolue constamment au fil du temps. L'identité n'est pas une notion figée ou monolithique, mais plutôt un processus continu de construction et de reconstruction. Elle se compose de multiples facettes qui s'entremêlent: identité culturelle, sociale, professionnelle, personnelle, etc.
Pour un(e) TCK, cette question d'identité est particulièrement nuancée car elle transcende les frontières traditionnelles. L'identité devient alors une mosaïque fluide, enrichie par diverses influences culturelles, des biais, qu’on le veuilles ou non.
Elle permet de développer une vision parfois plus nuancée du monde et une plus grande capacité d'adaptation, tout en reconnaissant que nous sommes tous des êtres en constante évolution, façonnés par nos expériences et nos rencontres.
1. Qu'est-ce qu'un(e) TCK?
Le concept de "Third Culture Kid" (TCK) ou "Enfant de Troisième Culture" désigne les personnes ayant grandi au carrefour de différentes cultures. Cette expérience unique façonne leur identité de manière particulière, créant une perspective multiculturelle distinctive.
Ce phénomène a été identifié et étudié pour la première fois dans les années 1950 par Ruth Hill Useem et John Useem, qui ont observé comment ces enfants développaient une identité culturelle unique, distincte à la fois de leur culture d'origine et de leur culture d'accueil.
Cette "troisième culture" se manifeste comme une fusion dynamique entre trois éléments:
La culture héritée des parents
La (ou les) culture(s) des pays d'accueil où l'enfant a grandit
Le mixte de ces cultures qui en fait la troisième
Pour aller plus loin :
https://en.wikipedia.org/wiki/Third_culture_kid
Playlist de témoignage et conférences de gens qui se définissent comme étant TCK
«Un Enfant de Troisième Culture (ETC) est une personne qui a passé une partie importante de ses années de croissance dans une culture autre que celle de ses parents. Elle développe alors des relations avec chacune de ces cultures et s’identifie dans une certaine mesure avec elles, mais elle ne se considère pourtant pas comme faisant intégralement partie d’elles. Même si différents éléments de chaque culture s’assimilent à son expérience et influencent son système de valeurs et son mode de vie, son sentiment d’appartenance va vers ceux qui ont un vécu semblable au sien.»
2. Les avantages et défis d'être “TCK”
Selon Ruth Hill Useem et John Useem, tous les TCKs sont uniques, mais se distinguent notamment par:
Un sentiment d'appartenance qui dépasse les frontières nationales - ils se sentent souvent plus proches d'autres TCKs que de personnes dites “mono-culturelles”
Une vision du monde plus globale et critique
La capacité à comprendre différentes perspectives d'une même situation
Un forte capacité d'adaptation au changement
Les TCKs s'ajustent facilement aux nouvelles situations. Cette flexibilité est un vrai plus, mais elle vient avec son lot de stress face aux changements constants; une danse sans fin entre adaptation et stabilité.
L'identité TCK ressemble à une mosaïque colorée, faite de bouts de cultures différentes. Cette richesse apporte une vision du monde intéressante, mais donne aussi l'impression d'être un puzzle incomplet, créant un sentiment de déracinement.
La navigation entre les cultures développe l’empathie et une facilité à créer des ponts entre les communautés. Mais cette aisance peut embrouiller la compréhension des codes et valeurs culturelles.
Les relations sont plein de diversité et de connexions. Les nouvelles amitiés se créent très facilement, mais la distance et les déplacements compliquent considérablement leur maintien.
La vision du monde ressemble à celle d'un oiseau en plein vol, observant les possibles liens entre cultures et sociétés. Cette perspective unique peut toutefois donner l'impression d'être en marge, comme un observateur permanent.
Le quotidien s'enrichit du multilinguisme et d'une facilité naturelle à voyager et s'adapter. Mais cette liberté s'accompagne d'un vrai casse-tête administratif; le prix à payer pour la mobilité internationale.
3. Mon parcours multiculturel
Je suis née en Belgique d’une mère belge et d'un père tunisien. Mon aventure multiculturelle a débuté très tôt. J'ai commencé à voyager dans le ventre de ma mère. À l'âge de 4 ans, mes parents ont quitté la Belgique pour réaliser leur “rêve américain”, ce qui nous a menés à Montréal, au Canada où mon père à dû refaire ces études en neurologie.
Je n’ai jamais passé plus de trois ans dans une même école, et rarement vécu longtemps au même endroit. Mon parcours canadien/québécois m'a fait étudier dans plusieurs villes: Montréal, Rivière-du-Loup, La Pocatière, Lennoxville… Pour mes études post-secondaires, j'ai d'abord fréquenté le CÉGEP (l'équivalent d'un mélange entre le lycée et la première année de FAC en France) au Collège Champlain de Lennoxville, où j'ai appris l'anglais, puis à l'Université Bishop's aux beaux-arts. De ma 2ème à ma 5ème année universitaire, j’ai vécu à Montréal où j'ai suivi 4 certificats universitaires différents (francophones et anglophones) à l'UQAM (Université du Québec à Montréal), l'UDM (Université de Montréal) et Concordia, en communication, en PAO (Publication Assistée par Ordinateur) et en design graphique basique, avec des cours variés, choisis à la carte.
Poussée par mon “esprit d'aventure” et une rupture amoureuse brutale avec un ex québécois toxique, je me suis ensuite envolée vers la Chine pour 2 semaines; ce qui s’est transformé en 3 années enrichissantes, entourée d’un belle communauté “d’expatriés” de plusieurs nationalités. J'y ai appris 3 mots de mandarin à l'université de Nanjing (surtout le nom des plats chinois que j’adore) et travaillé comme designer freelance, en agence et en entreprise.
Je vous raconte cette aventure incroyable via cet autre article.
En 2014, j'ai accompagné mon compagnon Auvergnat en France. Mon parcours en France m’a d’abord menée quelques mois en Auvergne, puis à Lyon pendant 3 années difficiles, avant de retourner dans les montagnes et la campagne auvergnate. C’est là, je crois, que j’ai trouvé un certain équilibre, du calme, pas de voisin, une jolie maison en pierre que nous avons entièrement rénové.
Bien que je m'y sente à l'aise, le concept de "maison" reste pour moi purement matériel. Il n'aura probablement jamais la profondeur du mot "HOME", qui m’évoque des racines et une seule identité; un concept auquel je ne peux ni adhérer, ni me limiter à des frontières sur une carte. Frontières qui changent depuis l’histoire de l’humanité… Pour moi, HOME n'est ni la France, ni le Canada, ni la Tunisie, ni la Belgique… HOME, c'est la planète avec mon bulldog anglais, mon chéri et les gens que j’aime.
Recap :
Mon lieu de naissance: Bruxelles en Belgique
La culture de mes parents : Belgique, pays maternel (4 ans + 2-3 semaines de vacances) et Tunisie, pays paternel (2-3 semaines de vacances)
Mes différentes cultures “d'accueils”: Canada (21 ans), Chine (3 ans) et France (+11 ans)
Ma "troisième culture": représenterait une fusion de toutes ces influences
Voyages en territoires d’idées reçues
Belgique
À Bruxelles, dans ma famille et entourage (plutôt bourgeois wallon), on a déjà traité mon père de singe, d’arabe qui mange par terre sur son journal, de sauvage, de moins que rien. J’entendais parfois mes proches m’appeler “zinneke” (“bâtard” en bruxellois) ou “belle petite bougnoule”.
Je me souviens de toujours m’être fait fouillée aux douanes en présence de mon père et confisqué soit une pauvre pince à sourcil, des crayons de couleurs en bois… alors que c’était beaucoup moins le cas quand je voyageais seule avec ma mère, blonde aux yeux bleus… Seule exception en voyage avec ma mère: ces voyous de douaniers américains (sur le sol Montréalais), qui m’ont littéralement racketter ma pomme, cette ARME REDOUTABLE!, me traitant presque de criminelle parce que j’aurais menti sur ma déclaration… et voulant simplement la manger comme seul déjeuner avant l’embarquement.
Canada
Au Québec je suis soit “l’européenne” exotique immigrée avec un accent frÔnçais de princesse (personne ne sait vraiment où se situe la Belgique, mais apparemment on ne mange que des moules-frites, des gaufres et du chocolat “une fois”...), soit je suis “Jasmine” dans Aladin, celle dont le père aurait un puits de pétrole cachés dans le jardin ou qui détourne les avions… et qui se mariera avec un “prince d’Arabie” très riche… Dans la tête de certains, mon petit frère devait forcément être bon au soccer (football) puisqu’il est à moitié arabe... J’ai aussi entendu quelques fois que j’étais une tablette de chocolat. Au primaire à Montréal, je sentais déjà que je devais défendre mes amis racisés. On m'a aussi parfois prise pour une “Amérindienne” et demandé “mes cartes” (d’ailleurs ont dit autochtone d’Amérique pour être plus respectueux).
Je pense aussi a ce voyage scolaire. J’avais dix-sept ans, mais pas encore la nationalité Canadienne. L’école avait organisé une sortie à New York pour visiter des musées d’art. Avec mon passeport belge qui ne m’avait jamais posé le moindre problème dans les aéroports américains, j’ai eu droit à un vieux douanier aigri et débile qui a inventé que mon passeport n’était “pas lisible” et m’a interdit de passer. J’ai vu le bus et mes amis s’éloigner, pendant que je restais seule, en pleurs, humiliée, coincée durant des heures à la frontière comme une suspecte. J’attendais qu’un professeur revienne me chercher, sous le regard satisfait de cet homme convaincu d’avoir accompli son devoir patriotique.
À l’époque, la loi belge imposait que toute personne après 18 ans acquérant volontairement une autre nationalité perdait automatiquement sa nationalité belge. Ainsi, pour devenir Canadienne et pour que je puisse également garder ma citoyenneté belge, ma mère a dû renoncer à sa propre nationalité, me transmettant la canadienne par naturalisation familiale. Elle a pu récupérer sa nationalité des années plus tard avec de longues démarches administratives.
Tunisie
À Sousse, on m’appelle “affectueusement” “gazelle” (la proie du lion), on cherchait à savoir, en blaguant (ou pas), contre combien de chameaux je pouvais être échangée, on me reproche de ne jamais manger assez de couscous, de ne pas avoir appris à parler l'arabe, de ne pas être musulmane, de m'habiller comme je veux, de tenir la main de mon “chum” (copain) québécois dans la rue en insinuant que je ferais de la prostitution, de ne pas trouver normal de séparer les hommes (au salon) et les femmes (à la cuisine), de ne pas vouloir d’enfants, ou de répondre sèchement aux sifflements des hommes qui dérangent voir harcèlent les femmes dans la rue…
À l’aéroport de Monastir, si je ne présente pas mon passeport tunisien, je risque de ne pas pouvoir quitter le pays. L’État considère qu’un citoyen tunisien reste exclusivement tunisien sur le sol tunisien, quelle que soit sa multiple nationalité. Une belle illustration de la liberté à géométrie variable que confèrent les frontières et les papiers… J’ai appris récemment qu’en cas de litige familial ou judiciaire sur le territoire, je serais traitée comme une femme Tunisienne (= peu de droits), sans intervention diplomatique possible de la Belgique ou du Canada.
Chine
À Nanjing et à Shanghai j'étais la “LAOWAI” (littéralement “l'étrangère”, terme péjoratif pour désigner toutes personnes autres que chinoise) et qu'on pointait du doigt en rigolant et avec étonnement de voir une “blanche”. Comme j'ai la peau plutôt claire, on me proposait souvent des opportunités bien stéréotypées: professeur d'anglais, "mannequin", candidate pour des jeux télévisés, ou encore hôtesse en tenue de princesse ou en robe de mariée lors d'événements promotionnels. Ces rôles, proposés par des marques de pharmacopée chinoise, des agents immobiliers ou lors de banquets d'entreprise, servaient essentiellement à afficher une présence occidentale comme symbole de prestige sans parler du rôle féminin très genré, considéré comme “potiche”...
Comme la grande majorité ne connaissent ni la Belgique, ni la Tunisie, je disais simplement: 我是加拿大人 (je suis canadienne) avec un très mauvais accent et on me souriait avec le pouce en l’air, en disant que je parlais SUPER BIEN chinois, la belle blague.
J’ai d’ailleurs utilisé mon passeport belge, qui m’offrait davantage de facilités que mes passeports canadien ou tunisien.
France
En Auvergne et à Lyon (alors que je suis aussi Européenne et que j’y vis depuis plus de 10 ans), on m'appelle encore parfois le “caribou”. On suppose que j'habitais près des bélugas (c'est pas faux) et des ours polaires (faut pas exagérer non plus). Dans l’imaginaire de certains, je dormais dans un igloo, je me déplaçais en chien de traîneau et je mangeais du phoque alors que pas dutout… On me demande souvent de parler avec l'accent québécois pour se divertir en gloussant, et je finis par me sentir comme un singe de cirque.
Ou alors on me lance régulièrement un “bonjour tabErnaclEuuu” en imitant un accent improbable, mélange belge-chtimi-suisse qui a un rhume... Et comment vous dire… savez-vous que ce mot est une insulte, un sacre? Et puis, ça se prononce tAbArnAk…
Pourquoi il vaut mieux éviter d’imiter l’accent québécois?
Imiter l’accent québécois peut sembler anodin, mais cela crée souvent un malaise. Comme tout accent, il porte une histoire, une identité et une relation complexe à la langue. Lorsqu’on l’imite sans invitation, cela devient souvent caricatural et renforce une longue tradition de moqueries. L’accent n’est plus un trait linguistique, mais un “spectacle” qui réduit une personne à un cliché.
Dans mon cas, cela ravive aussi un vécu linguistique sensible: remarques sur ma façon de parler, corrections permanentes, moqueries à l’école. Cela crée une distance et rappelle que je serai perçue comme “différente”. Le mécanisme est le même avec un accent congolais, mandarin, indien, etc. Il fige une identité dans une caricature et reproduit des dynamiques de domination.
On peut apprécier un accent sans le transformer en show. Un accent peut être chaleureux, musical, touchant, agréable à entendre ou évoquer un lieu ou une culture que l’on aime. L’imitation devient problématique lorsqu’elle caricature ou réduit quelqu’un à un trait sonore. L’écoute, la curiosité et le respect valent toujours mieux qu’une imitation approximative ou exagérée. Elle n’est respectueuse que dans des contextes d’apprentissage, d’échange culturel et avec le consentement de la personne concernée.
Sinon ma “moitié” tunisienne en France reste soit tabou, soit traité avec indifférence ou pire, quand je tombe sur des discours fascistes de droite et d'extrême droite omniprésents à la télé. J’entends de plus en plus souvent "ces gens-là qui viennent prendre notre travail", “ils sont partout dans nos campagnes”, “le grand remplacement”, “rentre chez toi”, pour ne pas citer les pires atrocités que seul un esprit malade peu inventer. Mais alors, où exactement devrais-je “retourner” selon eux? Au Canada, en Belgique, en Tunisie, en France où je rénove ma maison? Où est censé se situer mon “chez moi”?
Quand j’ose dénoncer des phrases profondément blessantes, injustes, stupides, voir traumatisantes, j’ai déjà entendu: “ah, je ne savais pas que ça pouvait te blesser”, “ah, je ne savais pas que tu avais plusieurs nationalités, tu n’a pourtant pas d’accent…” “mais toi, tu n'es pas comme les AUTRES Arabes, tu manges du saucisson”, “qu’est-ce que tu es sensible oh lalaaaaa”, etc.
Mon but n’est pas de me plaindre en partageant ces expériences, mais d’inviter à réfléchir, à comprendre et à se mettre à la place d’autrui avec un minimum d'empathie. Je sais que les préjugés persistent partout et que beaucoup vivent des situations bien plus grave. Le racisme institutionnel, structurel et systémique reste une réalité mondiale, nourrie par la peur de la différence. Il devient urgent de remettre ces mécanismes en question.
Je pense avoir eu énormément de chance dans mon parcours. J’ai rencontré des personnes exceptionnelles dans tous les pays que j’ai eu la chance de visiter (et aussi des cons intergalactiques). Les mauvais souvenirs restent néanmoins marqués à jamais et représentent des moments malaisants, profondément blessants et parfois traumatisants, qui auraient pu être évités avec plus de réflexion, d’ouverture d'esprit, d'éducation, de respect, de bienveillance et de compréhension mutuelle.
Ces expériences m'ont appris que la liberté d’expression implique une responsabilité: elle n’autorise pas à diffuser des propos hostiles ou discriminatoires, mais exige au contraire qu’on s’en serve pour questionner les préjugés, valoriser la diversité culturelle, exercer son esprit critique, s’informer, s’instruire...
4. Réflexions sur l'influence de mon identité multiculturelle dans ma pratique créative
Grandir entre 3 traditions religieuses a aussi façonné mon rapport au monde. Mon père était musulman, puis athée, ma mère catholique et mon parrain juif. Cette coexistence de systèmes de croyances parfois contradictoires m’a confrontée très tôt aux dogmes, aux rites, aux normes et aux tensions qu’ils peuvent produire. En observant ces cadres de l’intérieur, en découvrant le New Age, puis en m’en détachant, j’ai développé une posture profondément laïque, critique et non-religieuse.
Cela a nourri chez moi une exigence d’universalité, un besoin de cohérence éthique et un goût pour les approches qui dépassent les appartenances identitaires imposées. Cette distance me permet sans doute d’interroger les symboles, de comprendre leur poids culturel et de prendre position pour une créativité qui inclut le plus possible.
Mon parcours m'a amené à réfléchir sur la façon dont la diversité et l'adaptabilité peuvent enrichir notre vision du monde. Cette approche de conception universelle m'aide à naviguer entre diverses sensibilités culturelles, en tentant de créer des designs qui puissent parler au plus grand nombre, sans favoriser ou heurter une tradition particulière et quels que soient leur âge, leur taille, leurs capacités ou leur handicap, au mieux de mes connaissances.
La question des limites entre inspiration et appropriation culturelle fait également partie des enjeux auxquels je prête une attention lorsque je crée, notamment via ma phase de recherche et de sources.
Cela me permet aussi de développer une certaine réflexion critique et une curiosité pour différents domaines comme: l'histoire, la psychologie, la sémiologie, l'ethnologie, la sociologie, l’anthropologie, la métacognition, la médecine, la philosophie, la méthode scientifique, etc.
Je crois que ma curiosité, mon goût pour la nouveauté et mon intérêt pour la diversité se reflètent dans ma manière d’aborder chaque projet. Chacun d’eux devient une exploration; de nouvelles cultures, de nouveaux univers visuels, de nouvelles façons de raconter les projets. Cette approche m’a permis depuis 2011 d’enrichir ma pratique en puisant dans des contextes variés, souvent à la croisée des langues, des identités et des imaginaires.
Quelques exemples de cette diversité :
L’étiquette d’un cocktail de vodka ultra piquant que j’ai proposé de nommer Mollytov, (contraction de Molly, pour le personnage de Molly Bloom et cocktail Molotov) créée pour un lounge sino-irlandais, d’un patron écossais.
Une série d’affiches vintage pour un pub irlandais à Nanjing tenu par un patron écossais.
Des illustrations et packagings pour des marques soeurs internationales basées à Shanghai, comme LELO (sex toys haut de gamme suédois), INTIMINA (sex toys orienté plutôt vers le médical) ou FOREO (soins pour le visage).
L’identité visuelle d’une librairie-café internationale et éthique à Clermont-Ferrand proposant des livres dans plusieurs langues.
Le branding d’un restaurant français mêlant cuisine du monde et produits locaux.
Des logos bilingues (anglais/mandarin) pour Pisa Pizza et Hao Hao Chi, deux restaurants sino-européens.
La refonte d’identité et la conception d’un livre de maquillage inclusif pour une maquilleuse professionnelle parisienne.
La refonte complète de l’identité d’un restaurant d’altitude à La Clusaz, tenu par un couple franco-taïwanais revenu de Chine.
L’identité d’une boutique de jouets en bois à Singapour, Wooden Joy.
L’identité visuelle d’un cabinet vétérinaire belge inspirée de la symbolique de la ville de Saint-Hubert.
Des bulletins municipaux pour les mairies de Chabreloche et Dorat.
La refonte d’un logo pour un syndicat mixte des transports urbains, conciliant identité communautaire et municipale.
L’identité visuelle d’une ferme d’escargots au Québec.
L’illustration de la couverture d’un livre autobiographique d’une amie québécoise sur son terrible combat face au cancer.
Une carte digitale de remerciement de fin d’année pour tous les employés internationaux de Louis Vuitton, inspirée de l’art du voyage et des malles emblématiques de la marque.
Des illustrations pour le magazine The Nanjinger autour du réchauffement climatique.
L’identité d’une agence d’études de marché suisse.
Des affiches inclusives pour le Groupe Pomona, valorisant la diversité des corps et des âges pour la semaine de la sécurité au travail.
Les affiches colorées du Festival international de Jazz et musiques du monde de Nanjing.
La refonte visuelle d’un Intranet pour une agence l’agence de traduction ITC.
La réalisation de plus de 600 cartes illustrées pour l’apprentissage de l’anglais dans une école chinoise.
et j’en passe.
Cette pluralité de collaborations illustre ce qui me motive profondément: jouer avec les couleurs, mixer les cultures, comprendre leurs nuances, apprendre sur leur histoires, et traduire des messages visuellement.
Je ne pense pas avoir de “style graphique” à proprement parler, d’abord parce que j’ai du mal à reproduire techniquement 2 fois la même chose et parce que c’est moins motivant... Je préfère plutôt de tester de nouvelles techniques ou style et de m’adapter aux attentes de mes clients, leurs inspirations et à leur domaine. Je le vois comme un travail de collaboration et d’échange. C’est un sujet qui porte à débat dans le milieu du graphisme et des arts… et je ne dis pas qu’il faut suivre mon exemple, chaque approche est intéressante.
Je m'inspire des tendances internationales pour enrichir ma palette créative via des images sur Ecosia, Google, Pinterest, Behance, Unsplash pour ne citer que les plus connus… Je vise une approche universelle, par exemple en créant des icônes, emblèmes ou symboles, quelque soit le groupe cible et en utilisant le plus possible des combinaisons de couleurs le plus accessibles aux personnes malvoyantes/daltoniennes.
Comme de plus en plus de designers graphiques de nos jours, j'ai à cœur de proposer des solutions pertinentes et inclusives. Cette approche influence donc ma méthode de travail comme par exemple poser des tas de questions à mes clients pour comprendre en profondeur leurs besoins et mon travail de recherche.
5. Réflexion sur la diversité et l'ouverture culturelle
Qu'on qualifie une personne d'expatriée, d'immigrante, de migrante, de nomade internationale, de citoyenne du monde, de TCK, d'enfant de mariage mixte, de métisse ou multiculturelle…, peu importe qu’on me colle ces étiquettes pour soit-disant apprendre à me connaître, ces mots, souvent utilisées pour se rassurer ou classer trop vite, relèvent de simplifications qui occultent la complexité et la singularité de chaque personne.
Nos expériences, nos valeurs, nos aspirations et notre personnalité ne peuvent se réduire qu’à une simple catégorie. Les blancs, les noirs, les rouges, les jaunes, le “mec orange”, les verts petit pois, les arc-en-ciel à paillette… sont des constructions idéologiques.
Je reste privilégiée car mon parcours multiculturel m'a entre autres offert des opportunités uniques en termes d'éducation, de voyage et de développement. Des avantages que je sais ne pas être accessibles à tous.
Au fond, être TCK ou multiculturel a ces avantages et inconvénients. C'est une façon différente de vivre le monde. Je pense que la vraie richesse réside dans notre capacité à dépasser les préjugés et à voir au-delà des étiquettes culturelles. Chaque rencontre devient source d'apprentissage, chaque différence une opportunité d'enrichissement mutuel.
Dans un monde si divisé, cette perspective nous rappelle ces vérités:
Nous sommes tous égaux parce que nous sommes tous différents.
Nous sommes toutes et tous citoyens d'une même terre.
Accueillons la richesse et la diversité du monde.
Pour aller plus loin:
Third Culture Kid Wikipedia
Playlist Youtube sur les TCK (plus de 50 vidéos disponibles)
Le livre “Third Culture Kids” de David C Pollock, Ruth E Van Reken, Michael V Pollock
Les enfants expatriés : Enfants de la Troisième Culture, Édition 2020 par Cécile Gylbert
Ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise | Amnesty International
Centre pour la conception universelle | Université d'État de Caroline du Nord
Bonus à écouter avec le coeur
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Allôôô, moi c’est Sarah
Je suis designer graphique depuis 2011 et me spécialise dans la création d’identité visuelle, la création de logo et l’illustration dédiée aux petites et moyennes entreprises.