3 ans en Chine. Mon récit (semi-lucide), 10 ans plus tard…
De 2011 à 2014, j’ai vécu en Chine. Une parenthèse de 3 ans dans ma vie, passée entre Nanjing et Shanghai, qui reste à ce jour l’expérience la plus intense, incroyable et transformatrice que j’aie connue. C’était chaotique et complètement fou!
Pourquoi y suis-je allée? Par “hasard” et par curiosité.
Pas de plan? Pas de plan.
Pourquoi j’y suis restée? Par fascination.
Aussi pour le canard laqué croustillant, la fondue chinoise aux recettes infinies (huǒguō), les œufs de 100 ans (Pi Dan, mmmm), les gâteaux de lune (yuèbǐng), le mápó dòufu dégoulinant de sauce, les bāozi dodus, les jiǎozi qui soignent le moral, le chǎomiàn , le ròujiāmó (le burger chinois version soul food), le hóngshāo ròu sucré-salé qui colle au cœur, les biángbiáng miàn, les plats du Sichuan qui piquent autant que la vie, et bien d’autres recettes imprononçables mais inoubliables… Je ne peux pas en dire autant pour les nids d’hirondelle, la soupe d’aileron de requin, les insectes, les têtes de lapin, les pattes de poules, les langues de canard et autres dingueries que j’ai déjà engloutie sans le savoir (traumatisme gustatif ET éthique: combo fatal).
Et plus encore. Parce que la Chine, ça ne se raconte pas, ça se digère… lentement.
Vivre dans le pays du milieu
Avant même d’apprendre à dire nĭ hăo (avec le bon accent), j’ai plongé tête la première dans un environnement où…
Défis linguistiques et culturels
Je ne comprenais ni la langue, ni les valeurs locales.
Les "oui" signifiaient parfois "non", les sourires cachaient des malaises et mes tentatives de communication ressemblaient à du mime expérimental.
Comme pour tous les étrangers, on me pointais toujours du doigt en disant laowai. J’ai été souvent confrontée à un racisme et xénophobie extrême et nauséabond, surtout envers les japonais, les personnes à la peau noire ou foncée, les musulmans...
Je me sentais constamment observée et épiée par les gens (encore plus dans les toilettes publiques traditionnelles 😳…). Un sentiment de paranoïa de plus en plus envahissant.
Conditions de vie, entre asphyxie et beauté brute
L’air ressemblait à un bouillon jaune de particules fines, les étoiles avaient déserté le ciel depuis des années. J’ai probablement perdu 10 ans d’espérance de vie.
Vivre un hiver complet sans eau chaude reste mon Everest mental.
Les bruits ambiants vous dites? Ce n'est pas un mythe, raclements de gorge, crachats sonores, klaxons incessants, propagandes & publicités au microphone dans la rue, feux d'artifices à 1 mètre des habitations à 5h du matin, marchands ambulants criant leurs produits de toutes sortes, chansons patriotiques diffusées à plein volume, mégaphones des gardes du quartier, scooters électriques silencieux qui vous frôlent ou vous rentre dedant, danse collective avec musique tonitruante dans les espaces publics le matin, l’après-midi, le soir, construction 24h/24, vendeurs de légumes avec haut-parleurs portatifs, tous les bruits d’un ville de 7 à 23 millions d’habitants (à l’époque) partout, tout le temps.
Santé, sécurité et gastronomie sous haute tension
L’huile de cuisine recyclée des égouts… est une réalité, c’est marqué dans mes yeux à vie. Pourtant, je n’ai été malade qu’une fois. Je soupçonne mes intestins d’avoir développé des super-pouvoirs, ce n’a d’ailleurs plus été le cas dès mon arrivée en France avec le fromage, le saucisson, les croissants et le pain à foison.
On a volé mes vélos CINQ fois…
J’ai vu des chauffeurs de taxis s’endormir au volant sur l’autoroute. Connaître quelques mots en chinois a définitivement été mon assurance-vie, mais n’a pas aidé à dépasser mon amaxophobie…
Administratif
Mes différents visas (étudiant, business et touriste) m’obligeaient à sortir du pays régulièrement. Une fois de plus j’ai toujours eu énormément de chance d’avoir eu un passeport Belge et je remercie mes 关系 (guānxì) et amis. En chinois, ce mot signifie relation, lien ou connexion, un peu comme une “bonne étoile”. Ce sont à la fois des relations humaines, un levier social et une stratégie de survie dans une société où la norme passe souvent par le lien plutôt que la règle. Ce concept a été clé dans mon aventure en Chine.
Internet? Censuré. Bonjour VPNs interdits, passibles de grosses peines et qui ne fonctionne que rarement.
Les sujets sensibles? Il fallait les penser en silence, et encore.
Contrastes sociaux: entre gratte-ciels mégalo et pauvreté visible
Le contraste malaisant entre la Maserati pimpée rose Barbie d’un milliardaire qui double une personne âgée en “vélo gratte-ciel” croulant sous des dizaines de cartons.
Le pays changeait plus vite que mon fil Linkedin.
L’écart entre traditions rigides et modernité arrogante.
Etc. etc.
Et pourtant… j’ai adoré.
Parce que malgré tout et pour toutes les 1001 aventures (ou à cause de tout ça), cette expérience a été la plus formatrice de ma vie. Comme beaucoup d’expats (et de Français hehe), je râle, mais au fond, je suis tombée amoureuse d’un pays imprévisible, déroutant et d’une intensité rare.
Tout a commencé… spoiler, mal.
Le plan initial
J’avais 25 ans et 0 plan. Mes 5 années d’études universitaires terminées, je voulais passer dire bonjour à mon chum (copain en québécois) en stage de 6 mois à Nanjing. Un petit détour de 2 semaines en bag pack de 40 L, avant de partir à la conquête du monde 1 an en mode “Tintin” et “Minus & Cortex”. Parce que “why not”. J’avais commencé mon périple par Hawaï (j’ai ADORÉ).
Dans mon imagination zéro réaliste, j’imaginais y faire du bénévolat pour la Croix Rouge ou pour sauver les pandas (#clichéambulant 😅). Sauf que j’avais aucun contact, aucune orga, aucune planification (à part une adresse d’Auberge de jeunesse en anglais que les taxis chinois ne pouvaient pas lire).
Et parce que à l’époque j’aimais les citation de merde, mon motto était: "On ne va jamais aussi loin que lorsqu'on ne sait pas où l'on va." - Christophe Colomb (le colonisateur égaré, pilleur, fantasmé par un de mes prof d’histoire québécois…)
Problème…
On a rompu brutalement sur Facebook avant d’arriver en Chine. Yes!
Billet d’avion: non remboursable, appart: rendu, toutes mes affaires: entassées dans le garage chez mes parents…
Résultat: j’étais célibataire, sans domicile fixe, LIBRE comme l’air, et prête à décoller, en impro totale, avec beaucoup d’appréhension (et surtout pour les toilettes ouvertes à la Turc où tout le monde te vois faire les fesses à l’air, j’en ai fait une fixation et la saleté en général 😅.).
J’y suis donc allée. À reculons, certes, mais avec une curiosité de jeune fille égarée en pleine crise existentielle.
Ce qui devait durer 2 semaines…
…a duré 3 ans.
Improbable et inattendu. En 2 semaines, je me suis faite à l’idée des toilettes, j’ai eu l’opportunité d’avoir un super appartement avec de supers colloques, un super emploi comme illustratrice pour une école d’anglais, un super visa de travail qui me permettait de rester beaucoup plus longtemps sans sortir du territoire (super dure a obtenir en temps normal), un super vélo gracieusement offert par l’école.
J’ai enchaîné les expériences super: designer graphique freelance, directrice artistique junior dans une agence de graphisme, “professeure” de français et d’anglais, graphiste pour l’entreprise de sex toys (LELO, FOREO et INTIMINA)…
Voici quelques réalisation à l’époque:
J’ai été “hôtesse décorative” en évènementiel, promoteur(e) de soirées dans les bars, simili modèle/mannequin… Oui, j’ai eu quelques sous pour faire acte de présence pour des projets cocasses comme des projets immobiliers, une publicité vidéo pour un hôtel luxueux, présenter en robe de soirée des pillules pharmaceutique, une autre publicité vidéo pour des logiciels tech, j’ai été figurante dans un film, fait un défilé de “mode”… la “magie” du statut d’occidentale blanche cliché en Asie... J'ai aussi eu la chance d'organiser ma toute première exposition présentant mes illustrations, lors d'un vernissage pour une association caritative.
Je me suis également retrouvée dans 2 jeux télévisés qui mettent en scène des défis physiques, épreuves d’habileté ou situations absurdes et amusantes façon Intervilles, des karaokés , des dîners d’affaires, des mariages d’inconnus… souvent sans bien comprendre ce qui se passait.
Alors, pourquoi j’ai tant aimé vivre en Chine ?
J’ai tenté de réfléchir à quelques pistes que j’ai trié, parce que j’aime les listes... (et les trois petits points).
1. Émancipation accélérée
J’ai quitté mon confort matériel et culturel, mes habitudes et mes proches pour vivre à contre-courant.
Apprendre 2-3 mots de mandarin reste une petite fierté.
J’ai découvert une version de moi-même plus libre, débrouillarde, créative et active.
2. Opportunités sociales et professionnelles
J’ai rencontré des expats du monde entier et des Chinois extraordinaires.
J'adorais entendre les Chinois me dire affectueusement "ni hao měinǚ" (= bonjour ma jolie) avec leur accent chantant.
On valorisait mes compétences, le design graphique et mes illustrations.
J'ai pu construire un petit réseau international (des gens de Singapour, d’Angleterre, de Suisse, des États-Unis, du Kenya, d’Allemagne, d’Irlande, d’Écosse, de Belgique, d’Inde, du Maroc, d’Ukraine, de Russie, etc.) qui m'a permis de développer des projets graphiques sur place et même après mon départ de Chine.
3. Une vie quotidienne surprenante et bon marché
À l’époque, la vie était abordable: logement, repas, trajets, massage, activités, voyages, vêtements, matériel… tout semblait assez simple malgré la barrière de la langue.
Je me sentais tellement plus en sécurité qu’à Montréal, même la nuit en fin de soirée (bien arrosée), seule dans des ruelles sans lumière.
J’ai eu affaire à des hôpitaux et médecins chinois modernes, compétents et d’une efficacité remarquable (sauf pour la médecine chinoise traditionnelle que je n’ai pas souhaité trop tester à l’époque). Pour une grosse infection urinaire, en moins de deux heures, j’avais été examinée à l’hôpital, testée, diagnostiquée et traitée. Analyses de labo, ordonnance et médicaments, tout était disponible sur place, à la pharmacie de l’établissement. Une véritable démonstration d’E-F-F-I-C-A-C-I-T-É au vue du nombre impressionnant de patient. Je vous épargne la liste complète de mes petits pépins de santé et opérations, et j’ai peut-être eu de la chance, mais j’ai TOUJOURS été très bien prise en charge. Ce qui, pour être honnête, a rendu le contraste d’autant plus brutal à mon arrivée en France… mais ça, c’est une autre histoire.
La nourriture à toutes heures et facilement accessible vous dites? C’est clairement la cuisine que je préfère au monde et pas si compliquée quand on veut s’y mettre. Elle me manque encore et je suis si frustrée de ne jamais pouvoir trouver tous les ingrédients ou des restaurants équivalents en France. Je soûle probablement mes amis et mes proches tellement j'en parle.
4. Immersion culturelle permanente
La vie en Chine était une aventure sensorielle à tous les instants.
Le contraste quotidien entre traditions millénaires et néons ultramodernes était original.
5. Mobilité et diversité des paysages
J’ai pu voyagé à bas prix en asie dans certaines belles villes de Chine, mais aussi en Thaïlande, à Hong Kong, Macao et en Inde… et toujours très rapidement (je n’ai jamais connu de retard de train… comme quoi c’est possible…).
La Chine m’a offert des paysages hallucinants: Purple Mountain, Yellow Mountain, Qingdao célèbre pour la bière Tsingtao ses plages et ses fruits de mer, la Venise de la Chine “Suzhou”, la muraille de Chine, la cité interdite de Pékin, les lacs et jardins, parcs et temples somptueux...
Révélations et héritages
Ces trois années ont été révélatrices. J’ai découvert une résilience que je ne soupçonnais pas, une souplesse face à l’inconnu, et un goût prononcé pour un certain inconfort et risque. J’y ai laissé une partie de moi, mais j’en ai gagné d’autres.
J'ai quitté ce pays au rythme effréné avec un mélange de soulagement et de nostalgie. La Chine m'a marquée profondément, m'offrant un trésor de souvenirs indélébiles malgré l'épuisement qu'elle a pu générer.
L'une des difficultés les plus subtiles de cette expérience était cette sensation constante de transition. Même après trois ans, je restais une invitée de passage dans un pays qui ne serait jamais le mien. Cette identité d'étrangère perpétuelle crée une étrange relation au temps et à l'espace. La communauté expatriée elle-même reflétait cette impermanence, un flux incessant d'arrivées et de départs qui rappelait constamment le caractère éphémère de notre présence. À force de dire “au revoir” ou “adieu”, on anticipe inconsciemment son propre départ.
Pourtant, je ne regrette rien. Comme toute aventure intense, celle-ci devait se conclure pour laisser place à un nouveau chapitre. Et si certains aspects de la vie chinoise me manquent profondément (notamment la nourriture, on y reviens toujours), j'ai appris à apprécier la beauté des expériences transitoires, malgré les nombreux deuils.
De la Chine à la France, un autre exil (mais pas moins intense en émotions)
Il était pourtant le temps de tourner la page et de construire un avenir un peu plus “stable”, avec le souhait de fuir la pollution constante, voir des étoiles et de suivre mon amoureux Auvergnat, malgré mes appréhensions de la France et le risque de repartir de zéro (mais pas à zéro).
Nous avons donc quittés la Chine en avril 2014 et (re)venus en France, d’abords en Auvergne, puis à Lyon 4 ans, puis retournés en Auvergne, au calme de la campagne où l’aventure se poursuit.
Et vous, vous y pensez?
Ceci est un récit personnel, totalement subjectif, et de recul, sans prétention.
Partir vivre à l’étranger, surtout dans un pays culturellement aussi éloigné, n’est pas une décision facile. Quoi que dans mon cas, ce n’était pas vraiment réfléchi. J’ai eu une chance infinie que beaucoup d’autres n’ont pas eu. Je vous conseille au contraire de bien vous préparer et de vous informer, mais c’est une expérience incroyable qui transforme indéniablement une vie.
La Chine m’a changée. Elle m’a appris qu’on peut s’adapter à beaucoup de choses et que s’imprégner d’une culture est enrichissant, tant qu’on soit ouvert aux autres, et qu’on garde un esprit curieux et une bonne dose d’autodérision.
Pour les curieux, j'ai exploré plus en profondeur un concept très peu connu, celui de TCK (Third Culture Kid) dans cet article. Si mon parcours multiculturel vous interpelle et que vous vous demandez comment ces expériences façonnent l'identité, je vous invite à découvrir cette réflexion dans cet article sur les enfants de la troisième culture. Vous y trouverez comment ces identités multiples deviennent une richesse créative et personnelle.
Besoin d’une designer qui a survécu aux repas d’affaires chinois arrosés, à la nourriture épicée,… capable de rebondir malgré la pression et trouver des solutions? Contactez-moi.
Cet article vous a plu? Partagez-le!
Vous avez des questions en design graphique?
Peut-être que ces articles vous aideront a y répondre.
Hello, moi c’est Sarah
Québécoise, Belge et Tunisienne, ayant vécu en Chine et maintenant en France depuis plusieurs années, je construis des identité visuelles à forte personnalité pour des clients Français ou internationaux. Mon approche est ancrée sur la curiosité, la culture, la recherche de symboles et récits universels, la mixité, l’adaptabilité, un certain goût pour l’inattendu, hérité en partie de ce chapitre chinois.